Vous vous ĂȘtes sans doute dĂ©jĂ posĂ© la question, depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie de Covid-19 . Comment et quand
cela va-t-il se finir ? « C’est
extrĂȘmement difficile Ă saisir et Ă prĂ©voir, s’agissant en particulier d’une
épidémie nouvelle, dont on connaßt mal les caractéristiques du germe » , met en garde
Jean-Pierre Dedet, professeur émérite à la faculté de médecine de Montpellier
et auteur de Les épidémies, de la peste noire à la
grippe A/H1N1 (Dunod, 2010). S’il est bien trop tĂŽt pour apporter une rĂ©ponse
dĂ©finitive, un retour sur les Ă©pidĂ©mies qui ont marquĂ© l’histoire de l’humanitĂ©
permet d’Ă©clairer ce qui nous attend.
Peste noire, grippe espagnole, variole, Sras, Mers⊠Franceinfo vous
explique à quoi pourrait ressembler le bout du tunnel épidémique.
« C’est extrĂȘmement difficile Ă saisir et Ă prĂ©voir, s’agissant en particulier d’une Ă©pidĂ©mie nouvelle, dont on connaĂźt mal les caractĂ©ristiques du germe » , met en garde Jean-Pierre Dedet,
Une épidémie peut disparaßtre naturellement
La fin d’une Ă©pidĂ©mie dĂ©pend Ă©troitement des particularitĂ©s du microbe
responsable et de son mode de transmission. Les fins possibles se divisent en
deux grandes familles : soit la maladie disparaĂźt naturellement, soit
l’homme trouve une parade.
âą La saisonnalitĂ©. C’est elle qui
fait disparaĂźtre la grippe, Ă chaque printemps dans l’hĂ©misphĂšre nord,
notamment parce
que son virus prĂ©fĂšre le froid et l’humiditĂ© .
âą La mutation. A mesure qu’il se
propage, l’agent pathogĂšne, qu’il soit un virus ou une bactĂ©rie, peut Ă©voluer
vers une forme moins létale, moins dangereuse ou plus facile à contrÎler. La
syphilis, par exemple. « Dans les premiÚres descriptions,
cette maladie était présentée comme redoutable et mortelle » , raconte Patrice
Debré, immunologue et auteur de Vie et
mort des épidémies (Odile Jacob, 2013). « Sa
gravitĂ© s’est attĂ©nuĂ©e par la suite. »
La mutation peut avoir l’effet inverse. Dans le cas de la peste, c’est le
passage du bacille de l’estomac du rat Ă son sang qui a permis sa transmission
Ă la puce du rat, puis Ă l’humain. « Le
bacille a été capable de produire une sorte de bouchon qui oblitÚre la trombe
de la puce, raconte Patrice Debré. Quand la puce aspire le sang de son hÎte, il
est « rĂ©gurgitĂ© Ă l’intĂ©rieur du corps
humain et peut le contaminer » .
âą Des modifications
environnementales. AprĂšs avoir terrorisĂ© l’Europe, du
XIVe au XVIIIe siÚcle, la peste a été balayée de notre continent par le
surmulot. Ce rat brun a évincé son cousin le rat noir, réservoir de la maladie
transmise Ă l’homme via ses puces. « Ce
rongeur portait un bacille proche de la peste, qui l’avait immunisĂ© contre la
maladie. C’est un cas trĂšs particulier, dans lequel la maladie a Ă©tĂ© stoppĂ©e
dans le réservoir » , explique Jean-Pierre Dedet.
« Nous pensons qu’il faut 60% de personnes immunisĂ©s dans une population pour faire barrage. C’est ce qui s’est passĂ© pour la plupart des grippes, dont la grippe espagnole de 1918, et pour la rougeole » ,
âą L’immunitĂ© collective. Il
y a enfin, pour certaines maladies, la réponse biologique de notre corps :
c’est la fameuse immunitĂ© collective . Lors
d’un premier contact avec une maladie, notre systĂšme immunitaire produit des
anticorps qui peuvent empĂȘcher la rĂ©infection. « Nous pensons qu’il faut 60% de personnes immunisĂ©s
dans une population pour faire barrage. C’est ce qui s’est passĂ© pour la
plupart des grippes, dont la grippe espagnole de 1918, et pour la
rougeole » , explique Patrice Debré. Médecin et philosophe au CNRS,
Anne-Marie Moulin note que l’historien grec Thucydide avait dĂ©jĂ relevĂ©, dans
son rĂ©cit de la peste d’AthĂšnes, au IVe siĂšcle avant notre Ăšre, que « ceux qui avaient survĂ©cu pouvaient s’occuper des malades et
qu’en cas de retour de la peste, ils seraient protĂ©gĂ©s » .
Une épidémie peut disparaßtre aprÚs intervention
humaine
Quand l’Ă©volution spontanĂ©e de la maladie ou de son environnement ne suffit
pas, l’homme peut intervenir.
âą L’isolement des malades pour couper les
chaĂźnes de transmission. « C’est
ce qui a été fait avec le Sras en 2003 » , analyse Jean-Pierre Dedet. Au début
des années 2000, cette épidémie, déjà provoquée par un coronavirus, avait été
limitée à quelques foyers, dans le sud de la Chine et à Toronto. Bilan :
8 000 cas et 774 personnes tuées.
âą L’amĂ©lioration des conditions d’hygiĂšne. C’est de cette
maniĂšre que le cholĂ©ra, transmis par l’eau, a disparu de certaines rĂ©gions du
monde. « Il a Ă©tĂ© Ă©radiquĂ© d’Europe et
d’AmĂ©rique par l’assainissement des villes, le tout-Ă -l’Ă©gout. Il nous a
presque rendu service, parce que jusqu’au XIXe siĂšcle, les villes Ă©taient des
cloaques » , retrace Jean-Pierre Dedet.
âą La vaccination. Le vaccin permet
de provoquer l’immunitĂ© collective. Le cas le plus emblĂ©matique est celui de la
variole, déclarée éradiquée en 1980 aprÚs une campagne de vaccination massive
menĂ©e par l’OMS.
Traitements et lutte contre le vecteur. Enfin, la lutte
contre le vecteur (par exemple, les campagnes de démoustication pour lutter
contre le paludisme), la mise au point d’un traitement efficace (qui existe
pour la peste) ou une meilleure connaissance des mécanismes de transmission,
peuvent permettre de maĂźtriser une maladie. C’est ce qui s’est produit avec la
fiĂšvre hĂ©morragique d’Argentine. « Il
y avait des épidémies locales de cette maladie portée par une petite souris,
dont on ne comprenait pas la transmission. On s’est aperçu que cela coĂŻncidait
avec l’arrivĂ©e des moissonneuses-batteuses » , raconte Patrice
Debré. La suite figure dans son livre : « Piégées
par l’infernale mĂ©canique, les souris sont happĂ©es par le rabatteur Ă griffes,
puis hachĂ©es menu, Ă©crasĂ©es et pulvĂ©risĂ©es sous forme d’un aĂ©rosol de sang et
d’urine, dispersĂ© par le secoueur et le broyeur de paille Ă la sortir du
monstre d’acier, lĂ mĂȘme oĂč se tiennent les ouvriers agricoles » . Une fois ce risque
identifiĂ©, l’utilisation de masques par ces derniers a permis de circonscrire
la maladie.
« Il y avait des Ă©pidĂ©mies locales de cette maladie portĂ©e par une petite souris, dont on ne comprenait pas la transmission. On s’est aperçu que cela coĂŻncidait avec l’arrivĂ©e des moissonneuses-batteuses » , raconte Patrice DebrĂ©.
Une Ă©pidĂ©mie peut ne pas s’arrĂȘter
Toutes les Ă©pidĂ©mies n’ont pas nĂ©cessairement de fin. On peut Ă©chouer Ă
trouver un vaccin, comme dans le cas du sida. L’agent pathogĂšne peut Ă©voluer et
s’adapter aux techniques mises en place pour le contrer. La maladie peut
continuer Ă circuler, dans le rĂ©servoir animal ou dans l’environnement. C’est
le cas de la peste, qui ressurgit épisodiquement dans ses « foyers
invétérés », comme Madagascar. « Vous
ne pouvez pas vous débarrasser du rat, surtout dans des contextes de pauvreté,
oĂč il est un commensal de
l’homme » , pointe Anne-Marie Moulin. La mĂ©decin rappelle aussi que le « cholĂ©ra
revient Ă partir du moment oĂč il y a des problĂšmes d’accĂšs Ă l’eau potable, on
l’a vu Ă
HaĂŻti, aprĂšs le sĂ©isme de 2010″ .
Le Covid-19 peut-il ne jamais disparaĂźtre ? L’histoire des coronavirus
et de l’homme nous offre « les
deux exemples extrĂȘmes » de dĂ©nouement, pointe Jean-Pierre
Dedet. « Le Sras a été totalement jugulé,
mais le Mers, qui vient du dromadaire, dure depuis une dizaine d’annĂ©es », explique le
spécialiste. On ignore dans quelle catégorie tombera le Covid-19.
Une Ă©pidĂ©mie peut se prolonger dans nos tĂȘtes
Une épidémie est aussi un phénomÚne social, économique, politique et
psychologique. S’il y a un lien entre la fin mĂ©dicale et la fin sociale, les
calendriers ne coĂŻncident pas toujours. Isabelle SĂ©guy, historienne Ă
l’Institut national d’Ă©tudes dĂ©mographiques (Ined), a Ă©tudiĂ© la peste qui a
frappĂ© Marseille et la Provence au dĂ©but du XVIIIe siĂšcle. D’un point de vue
médical, la cité est libérée de la peste en juillet 1721. « La
reprise des activités ordinaires est trÚs progressive, sur plusieurs mois, en
raison de la prudence des autorités et de la peur des gens » , note-t-elle. Les
mariages, pour recomposer les familles décimées, reprennent dÚs les premiers
signes de dĂ©crue de l’Ă©pidĂ©mie, en novembre et dĂ©cembre 1720. L’activitĂ©
économique redémarre plus lentement : la ville est déconsignée en novembre
1722, le commerce international ne reprend qu’en janvier 1723 et ne
s’intensifie qu’Ă partir de l’Ă©tĂ©. La peur ne frappe pas qu’Ă l’intĂ©rieur de la
ville, mais aussi Ă l’extĂ©rieur. « Dans
les derniers mois, cela tient plus à la défiance par rapport à tout ce qui
vient de Marseille » , explique l’historienne.
Psychologue Ă l’Ecole des hautes Ă©tudes en santĂ© publique, Jocelyn Raude
explique que cette fin mentale est déterminée par deux facteurs :
l’incertitude autour de la maladie et la « contrĂŽlabilitĂ©
perçue du risque » .
Plus on a le sentiment de maĂźtriser un
risque, moins cela nous inquiĂšte. Jocelyn Raude, psychologue
Men load sacks of rice among other food aid in a truck, to be distributed for those affected by procedures taken to curb the spread of coronavirus disease (COVID-19), in Abuja, Nigeria April 17, 2020. Picture taken April 17, 2020. REUTERS/Afolabi Sotunde
Plus on a le sentiment de maĂźtriser un risque, moins cela nous inquiĂšte. Jocelyn Raude, psychologue
Le spĂ©cialiste, qui participe Ă des programmes d’observation de nos
réactions comportementales, affectives et cognitives par rapport au Covid-19,
hésite entre deux scénarios déjà observés dans les sociétés occidentales.
PremiĂšre possibilitĂ© : l’accoutumance au risque, qui entraĂźne une fin de l’Ă©pidĂ©mie dans les tĂȘtes, alors que la dynamique de la maladie continue (comme ce fut le cas pour le sida). DeuxiĂšme hypothĂšse : l’effet miroir, avec « le maintien Ă un niveau Ă©levĂ© des comportements de prĂ©vention »  et des changements trĂšs durables, alors que l’Ă©pidĂ©mie est terminĂ©e sur le plan sanitaire. « Certains anthropologues prĂ©tendent que les codes sociaux en Asie pourraient avoir Ă©tĂ© façonnĂ©s par l’expĂ©rience des Ă©pidĂ©mies » , explique-t-il. Les populations « ont installĂ© des normes sociales qui ont Ă©mergĂ© dans une situation Ă©pidĂ©mique, et les ont maintenues aprĂšs, comme ne pas se toucher les mains » . Ces deux hypothĂšses peuvent aussi se superposer dans la sociĂ©tĂ©. RĂ©ponse dans les prochains mois.