Le commun des mortels croit dur comme fer que lorsqu’on est Docteur, a fortiori enseignant d’universitĂ©, cela signifie qu’on est intelligent, et surtout que notre titre de Docteur dans une discipline donnĂ©e sanctionne un parcours brillant.
« Nombreux d’entre les titulaires de doctorat, et moi le premier, sont de grands « forceurs »
C’est une grave mĂ©prise, car en rĂ©alitĂ© devenir Docteur est moins une question d’intelligence que de rĂ©sistance et de persĂ©vĂ©rance. Nombreux d’entre-nous, et votre humble serviteur le premier, sont de grands « forceurs » (des forçats mĂŞme peut-ĂŞtre), que la grâce de Dieu et une faible dĂ©termination ont sauvĂ© des voies de la perdition.
Très peu sont des Docteurs et universitaires qui ont eu un parcours brillant (il y en a Ă©videmment, j’en connais quelques rares), il n’y a qu’Ă voir l’Ă©tat de nos productions, de nos activitĂ©s, de nos institutions, de nos pays et du monde pour s’en convaincre ! Notre pays et le monde se portent mal en grande partie Ă cause de nous. Et je prends humblement et en responsabilitĂ© toute ma part dans ce dĂ©sastre.
Mes étudiants, eux aussi, le pensaient. Il faut dire que beaucoup de mes collègues ne les ont pas vraiment aidé dans ce sens.
Mais mal leur en a pris, les pauvres. Il y a quelques semaines j’ai prĂ©sentĂ© quelques uns de mes bulletins de notes Ă mes Ă©tudiants de Master. Des bulletins de 1ère et Terminale, et des relevĂ©s de notes de 1ère annĂ©e jusqu’Ă l’annĂ©e de DEA. J’ai failli causer un sĂ©isme.
Voici quelques uns des constats les plus saillants qu’ils ont fait après un examen minutieux du « prĂ©cieux sĂ©same » :
1- J’ai redoublĂ© Ă trois (03) reprises (ce qui reste du moins une statistique honorable),
2- Je n’ai jamais eu « le malheur » d’ĂŞtre 1er de ma classe (ce qui est un exploit que beaucoup m’envient),
3- J’ai Ă©tĂ© le champion incontestĂ© des 10 et 11 de moyenne (toujours combattu par mes camarades mais jamais abattu ni dĂ©trĂ´nĂ©),
4- J’ai battu tous les records des heures d’absence, de corvĂ©es, et emportĂ© de haute lutte le prix du plus grand nombre de mise Ă pied en un trimestre en classe de 1ère (je suis certain de n’avoir pas Ă©tĂ© dĂ©trĂ´nĂ© jusqu’Ă ce jour),
5- J’ai bĂ©nĂ©ficiĂ© du rare privilège d’ĂŞtre le rat de laboratoire de toutes les expĂ©rimentations des commentaires d’enseignants sur un bulletin : « nul, mĂ©diocre, affligeant, dĂ©sespĂ©rant, Ă©lĂ©ment perturbateur, enfant nuisible, Ă©lève Ă exclure dĂ©finitivement, individu dangereux et hostile Ă l’autorité », etc. (et j’ai gardĂ© les plus trash),
6- Je suis subitement et bizarrement devenu « intelligent » à partir du DEA (je trompe mon monde).
« il n’y a pas d’enfant irrĂ©cupĂ©rable dans une famille ou une sociĂ©tĂ©, juste de pauvres diables mal orientĂ©s, mal encadrĂ©s ou sans motivation particulière »
Ă€ la fin de cet exercice, j’ai expliquĂ© Ă cette belle jeunesse « choquĂ©e » par ces rĂ©vĂ©lations que rien n’est figĂ© dans la vie d’un ĂŞtre humain, et que tout peut arriver, tout peut changer, Ă tout moment, il suffit juste d’y croire :
- d’abord parce que si l’on croit en Dieu et en soi, et si l’on travaille dur, on peut devenir Ă tout moment une meilleure version de soi-mĂŞme,
- ensuite parce qu’il n’y a pas d’enfant irrĂ©cupĂ©rable dans une famille ou une sociĂ©tĂ©, juste de pauvres diables mal orientĂ©s, mal encadrĂ©s ou sans motivation particulière,
- enfin parce que l’Ă©chec est le sillon sur lequel bourgeonne le succès, et les Ă©checs bien compris d’aujourd’hui nous prĂ©parent aux grandes rĂ©ussites de demain!
C’est assurĂ©ment la meilleure introduction de cours qu’il m’ait Ă©tĂ© donnĂ© de faire depuis que j’ai cette grâce d’enseigner.
J’ai Ă©tĂ© le 1er enseignant qui n’Ă©tait pas 1er de toutes ses classes. J’ai Ă©tĂ© le tout 1er enseignant, pour ces jeunes, Ă se fĂ©liciter de ses nombreux Ă©checs, et Ă leur montrer qu’avec de la volontĂ©, de la foi, du travail, du courage, de la persĂ©vĂ©rance, l’aventure humaine est le champ de tous les possibles.
Richard Makon, PhD